
Dans le sud de l'Italie, au début du siècle, la société
est traditionnelle et même archaïque. La démocratie et la
modernité sont inexistantes et d'ailleurs pourfendues par le pape. L'éducation
des enfants est négligée : dans le meilleur des cas, ils quittent l'école à neuf ans. La nourriture
est frugale : le pain, la galette, les pois chiches, les fèves et la polenta constituent la base de l'alimentation. L'habitat est rudimentaire;
l'hiver, on se met avec les bêtes pour être au chaud. Dans le mezzogiorno, la pauvreté et l'immobilisme perdurent, alors que
partout ailleurs en Europe, le sort des ouvriers s'améliore sensiblement.
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Le royaume d'Italie est en retard par rapport
aux grands pays d'Europe : les conditions de vie, les revenus, les droits politiques
et sociaux des ouvriers y sont inférieurs; or, le mezzogiorno est la région
la plus pauvre du pays. L'immense majorité des habitants vivent, ou
plutôt survivent, en travaillant la terre. Le sol est ingrat, les techniques
d'exploitation primitives et les conditions de travail des ouvriers agricoles
très dures. Les petits propriétaires vivent en autarcie sur de
minuscules lopins de terre. Les paysans sans terre se louent péniblement
un jour sur deux en moyenne. Les métayers doivent la moitié de
la récolte au propriétaire et sont sans cesse menacés d'expulsion.
La terre appartient à des aristocrates oisifs, qui se désintéressent
des problèmes économiques et sociaux. De plus, à partir
des années 1880, le sud de l'Italie, comme toute l'Europe, est touché
par la crise économique. La pauvreté augmente encore, tandis
que la population s'accroît de manière phénoménale : les familles nombreuses sont légions. Certains parents en sont réduits à confier leurs enfants, âgés de dix ans à peine, à des "padroni", marchands de main-d'œuvre brutaux et âpres au gain, qui les acheminent, à pied, par petits groupes, jusqu'à la gare de Naples, puis en train jusqu'en France, où ils les louent à des directeurs d'usines de la région de Lyon. |
Le ralentissement de l'activité économique et le surpeuplement
provoquent des révoltes incessantes, au point que les autorités
redoutent une révolution sociale. Les pauvres, qui n'ont pas le droit
de vote, réagissent de manière spontanée et violente :
les grèves sauvages, émeutes, pillages et incendies éclatent
de manière sporadique. Les masses populaires, exclues de la vie politique
et syndicales, se laissent gagner par les idées anarchistes. En 1896,
dans le sud, l'insurrection est réprimée par la troupe, la loi
martiale proclamée. En 1900, le roi d'Italie est assassiné
par un activiste. |
Dans ces conditions, beaucoup choisissent d'émigrer. Les candidats au départ se recrutent principalement parmi les plus jeunes et les plus pauvres. Ils sont séduits par les récits de parents ou d'amis déjà installés en Amérique, qui parfois leur payent la traversée. D'ailleurs, les tarifs baissent, à mesure que la taille des navires à vapeur augmente et que la concurrence se fait plus vive entre les compagnies. Les émigrants voyagent donc à bas prix, mais dans des conditions inconfortables et dans la promiscuité. La traversée est pénible, et elle dure un mois : en hiver, c'est long ! |